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2)   A la recherche du sens

Simone de Beauvoir a construit sa vie au jour le jour grâce à son journal. Elle refuse de laisser le principe du bio l'emporter sur celui de l'auto. Sa vie doit mener quelque part elle l'affirme dès son plus jeune âge : « Ma vie à moi mènera quelque part »[202] se serait promise la fillette en rangeant une pile d'assiettes. L'écriture quotidienne du moi lui permet d'avoir l'impression de synchroniser les différents moments de sa vie. L'écriture des mémoires permet une synchronie à un degré plus élevé. Toutefois Les mémoires d'une jeune fille rangée et La force de l'âge ont la particularité de lier synchronie et diachronie puisque Simone de Beauvoir, en partie parce qu'elle utilise son journal pour écrire ses mémoires nous explique la quête du sens au travers des différentes étapes de son existence.

Elle écrit son autobiographie à la façon des grandes autobiographies romantiques.

Tout comme le Bildungsroman, le lecteur découvre le sens de la vie de Simone de Beauvoir en suivant le devenir de son existence. Le sens de celle-ci n'est pas donné d'avance mais se découvre petit à petit. La quête du sens est toutefois facilitée par une grande ligne directrice dont notre mémorialiste a conscience très tôt. La jeune fille veut se perfectionner, progresser dans l'existence. La vie est perçue comme une ligne droite dans le sens d'une ascension. Dans Tout compte fait, qui résume toute son entreprise autobiographique, elle affirme :

« A travers toute mon enfance et ma jeunesse ma vie avait un sens clair : l'âge adulte en était le but et la raison. [...] C'est pourquoi Les mémoires d'une jeune fille rangée ont une unité romanesque qui manque aux volumes suivants. Comme dans les romans d'apprentissage du début à la fin le temps coule avec rigueur ».[203]

Tout au long des Mémoires d'une jeune fille rangée et La force de I'âge, notre auteur cherche le fil conducteur de sa vie. Cette vision de la vie comme une ligne droite est utilisée à plusieurs reprises : « Il m'a fallu prendre un certain nombre de décisions mais là encore, il ne me semble pas avoir opté : j'ai suivi impérieusement le chemin que m'indiquait mon passé. » [204] La vie est comparée à des rails de chemin de fer (cf. Tout compte fait, p. 21). Cette volonté de voir la vie comme une continuelle ascension lui fait écrire au sujet de ses rêveries alors qu'elle est âgée de quinze ans :

« Je pensais à moi du dedans comme à une personne en train de se faire, et j'avais l'ambition de progresser à l'infini, l'élu, je le voyais du dedans comme une personne achevée... ». [205]

Quelques jours avant son agrégation elle pense : « Révisant mon programme par un chaud après-midi d'été, je me souvenais des heures toutes semblables où je préparais mon bachot : je connaissais la même paix et la même ardeur et comme je m'étais enrichie depuis mes seize ans ».[206]

Nous comprenons d'ailleurs pourquoi les études sont un point de repère tellement essentiel dans son existence. Elles permettent de noter les progrès accomplis par un individu, au moyen des différents échelons, grades scolaires que la jeune fille franchit étape par étape. Les études lui donnent un but, la poussent à avancer dans l'existence : « L'imminence des examens, l'espoir de devenir bientôt une étudiante m'aiguillonnaient. Ce fut une année faste, mon corps s'arrangeait, mes secrets pesaient moins lourds » écrit-elle en se souvenant de ses dix-sept ans : « Le trimestre s'acheva. Je passai mes examens de mathématiques et de latin. C'était agréable d'aller vite et de réussir ». [207] Sa volonté d'organiser sa vie comme une ascension se reflète dans son travail scolaire. Elle fait tout pour accélérer celui-ci et n'hésite pas à rappeler combien elle était douée : « En latin, nous avions obtenu de sauter une année et de passer dès la seconde dans le cours supérieur : la compétition avec des élèves de première me tenait en haleine » [208] et encore : « Mon dernier trimestre se trouvant vacant, pourquoi ne pas commencer tout de suite mon diplôme ? Il n'était pas défendu en ce temps-là de le présenter en même temps que l'agrégation, si je l'avançais assez rien ne m'empêcherait à la rentrée de préparer le concours tout en le terminant ».[209] Le texte des Mémoires d'une jeune fille rangée est traversée par l'isotopie de l'ascension : « Depuis ma naissance, je m'étais endormie un peu plus riche que la veille, je m'élevais de degré en degré ». [210]

Les scènes sont nombreuses au cours desquelles la jeune fille escalade non plus simplement en esprit mais physiquement les obstacles. Les escaliers symbolisent une ascension intellectuelle et spirituelle : « J'escaladais la nuit les escaliers du Sacré-Cœur ». Tel un ascensionniste, elle commence son parcours d'étudiante, qui est un modèle de réussite, en gravissant les marches de la bibliothèque Sainte-Geneviève. Les épisodes dépressifs qui reviennent à de multiples reprises tout au long de Mémoires d'une jeune fille rangée et de La force de l'âge sont toujours dus à une impression de piétinement.

Cette volonté de progresser à l'infini, lui fait refuser le destin des femmes de la bourgeoisie française des années vingt : se marier et avoir des enfants. Nous assistons à l'émergence de la pensée développée par notre auteur dans Le deuxième sexe à moins que l'illusion rétrospective jouant, elle ne formule une pensée qu'elle n'a eu, en réalité, qu'en 1949 : « J'avais décidé depuis longtemps de consacrer ma vie à des travaux intellectuels. Zaza me scandalisa en déclarant d'un ton provoquant : "mettre au monde des enfants ça vaut bien autant que d'écrire des livres". Je ne voyais pas de commune mesure entre ces destins. Avoir des enfants qui à leur tour auraient des enfants, c'était rabâcher à l'infini, la même ennuyeuse ritournelle ; le savant, l'écrivain, le penseur, l'artiste créaient un autre monde lumineux et joyeux, où tout avait sa raison d'être ».[211]

Dès l'adolescence, notre mémorialiste désire que tous les moments de sa vie aient une fonction et la conduisent quelque part. Ainsi ne se fraye-t-elle pas avec ses amis du cours Désir, car ces dernières n'ont pas la même conception de la vie qu'elle. Elles se contentent de suivre un modèle préétabli, alors que notre auteur cherche le sens de sa vie : « Passé leurs bachots, elles suivraient quelques cours d'histoire et de littérature, elles feraient l'école du Louvre ou la Croix Rouge, de la peinture sur porcelaine, du batik, de la reliure et s'occuperaient de quelques œuvres ».[212] Mais le sens de la vie n'est pas seulement à chercher intellectuellement, il doit également se démontrer par des actions concrètes. Simone de Beauvoir est fidèle à la théorie existentialiste. Le cousin Jacques est l'illustration parfaite de cette théorie de l'action comme révélateur de l'être. Intelligent mais aboulique, Jacques ne s'engage dans aucune action concrète. Il se contente de se distraire, de trouver des occupations dans sa vie. A dix-sept ans, sa petite cousine le voit comme une "incarnation raffinée" de l'inquiétude et admire son mépris à l'égard des affaires terrestres. Mais deux ans plus tard, la jeune fille lui reproche de ne pas s'engager dans des actes concrets : « Il manquait de profondeur, de persévérance et parfois, ce qui me semblait plus grave de sincérité. Il m'arrivait de m'irriter de ses dérobades ».[213]

Jacques, le seul amour de son adolescence devient l'illustration parfaite du "lâche" sartrien qui se contente de se plaindre sans agir. Ainsi elle réagit de façon violente lorsqu'elle comprend qu'il n'est qu'un velléitaire. « La colère me prit et je détestai Jacques. Qu'avait-il de si extraordinaire ? Il y en avait un tas d'autres qui valaient mieux que lui. Je m'étais bien trompée en le prenant pour une espèce de Grand Meaulnes ; il était instable, égoïste et n'aimait que s'amuser. Je marchai rageusement sur les grands boulevards en me promettant de séparer ma vie de la sienne ».[214] Le cousin Jacques est le modèle négatif, au cours de ce roman de formation, il devient l'ange noir que notre héroïne doit repousser afin de ne pas céder à son scepticisme. En oubliant Jacques, elle peut rencontrer Jean-Paul Sartre qui est, bien sûr, le modèle positif par excellence : il a énormément de volonté et un grand projet dans l'existence, devenir écrivain : « Plus âgé que moi de deux ans - deux ans qu'il avait mis à profit - ayant pris beaucoup plus tôt un meilleur départ, il en savait plus long, sur tout [...]. Je m'étais crue exceptionnelle parce que je ne concevais pas de vivre sans écrire : il ne vivait que pour écrire ».[215]

D'ailleurs, afin de créer ce beau roman d'amour, notre mémorialiste n'hésite pas à inverser les faits réels. Elle raconte à son amant Nelson Algren que Jacques l'a abandonnée pour se marier avec une autre femme au moment même de sa rencontre avec Sartre : « A dix-sept ans, très amoureuse d'un cousin du même âge que moi, beau, intelligent, séduisant, je l'admirais d'être un homme, lui m'aimait bien, il me révélait la littérature moderne et m'a aidée à m'affranchir intellectuellement de ma famille mais il me respectait comme on respecte une cousine et tant qu'à se marier il épousa une riche, bête et laide vierge... Son mariage fut un choc mais ne m'affecta pas trop, car à ce moment précis, je fis la connaissance de nouveaux amis, étudiants comme moi et parmi eux de Sartre ».[216] De plus, elle aurait abandonné son cousin bien avant son mariage.

Les Mémoires d'une jeune fille rangée embellissent la situation de notre héroïne et Jacques sert alors de négatif et permet la rencontre avec Sartre. Ce premier volume des mémoires a également une visée didactique : notre auteur nous raconte la déchéance terrible de son cousin, et sa mort, elle montre au lecteur ce qui peut arriver à un homme lâche qui n'assume pas sa situation. Simone de Beauvoir, elle, cherche continuellement le sens de son existence.

Pour ce faire, elle s'assigne des mandats successifs qui lui fixent des buts et redéfinissent sa vie à neuf. Petite fille, elle veut servir Dieu et ses parents car comme nous l'avons déjà vu son éducation lui a appris que leurs volontés se confondaient. Ainsi n'a-t-elle pas à chercher de mandat par elle-même et peut se contenter d'obéir parfaitement à ses parents : « Je m'étais convaincue que mes parents ne voulaient que mon bien ».[217] Elle apprend à lire, à compter pour satisfaire son père, et elle remplit avec exactitudes ses devoirs de chrétienne pour plaire à sa mère : « Je m'étais convaincue que mes parents ne voulaient que mon bien ».[218] Elle réussit tous ses apprentissages pour leur plaire. Les devoirs scolaires ne sont pas tant appréciés pour les satisfactions qu'ils lui procurent que pour l'amour que lui manifestent ses parents grâce à ses progrès.

Un second exemple de sa docilité à l'égard de ses parents, et son attitude pendant la guerre, notre future mémorialiste qui soutint avec enthousiasme le Front pour la Libération Nationale de l'Algérie pendant les années soixante, se veut une parfaite patriote pendant la première guerre mondiale. Elle raconte avec humour comment elle agitait de petits drapeaux français ou déchirait ses poupons fabriqués en Allemagne :

« En septembre, à la Grillère, j'appris à remplir mes devoirs de française. J'aidais maman à fabriquer de la charpie, je tricotai un passe-montagne. Ma tante Hélène attelait la charrette anglaise et nous allions à la gare voisine distribuer des pommes à de grands hindous enturbannés... ». [219]

La petite fille abdique son indépendance d'esprit pour être asservie par ses parents, ce qui lui assure une parfaite tranquillité. La fillette, quoique puisse en penser Simone de Beauvoir, agit comme toutes les autres petites filles de son age.

Elle a peu de loisirs car ses parents n'ont pas des ressources financières importantes. Elle reste dans l'appartement, dévore des livres car c'est la seule distraction que ses parents peuvent lui donner. La petite fille s'adonne à ses études qui lui fournissent un nouveau mandat : elle doit devenir la meilleure élève du cours Désir, et apprendre le maximum de choses que possible :

« Si je pris tant de plaisir à l'étude, c'est que ma vie quotidienne ne me rassasiait plus... Dans l'univers policé où j'étais cantonnée, peu de choses m'étonnait car j'ignorais où commence, où s'arrête le pouvoir de l'homme. Les avions, les dirigeables qui parfois traversaient le cœur de Paris émerveillaient beaucoup plus les adultes que moi-même. Quant aux distractions, on ne m'en offrait guère ». [220]

Son seul recours pour s'occuper est d'étudier avec frénésie. Les études deviennent une nécessité : « Assise devant une petite table, je décalquai sur le papier des phrases qui serpentaient dans ma tête : la feuille blanche se couvrait des taches violettes qui racontaient une histoire ».[221]

L'étude donne encore plus un sens à sa vie lorsque la petite fille décide de devenir professeur. Elle transmet ses connaissances à ses poupées et à sa sœur : « Ce qui m'importait c'était de former des esprits et des âmes : je me ferai professeur, décidai-je ».[222] Ce projet concilie tout, il lui donne l'indépendance financière et lui permet de faire progresser son esprit. La petite fille, grâce à l'étude, apprend l'indépendance, elle ne veut plus dépendre de ses parents, le sens qu'elle veut donner à son existence, elle doit le trouver seule. Elle voit d'ailleurs le professorat comme un sacerdoce car elle hésite entre être carmélite et le professorat nous explique-t-elle. Elle s'invente alors une longue liste de supplices, de difficultés, de tortures pour contenter Dieu. La vie de carmélite lui semble satisfaisante car elle permet de concilier son besoin d'absolu et son amour de Dieu :

« Je me persuadai de plus en plus qu'il n'y avait pas de place dans le monde profane pour la vie surnaturelle. Et pourtant, c'était celle-ci qui comptait : elle seule. J'eus brusquement l'évidence un matin qu'un chrétien convaincu de la béatitude future n'aurait pas du accorder le moindre prix aux choses éphémères. Comment la plupart d'entre eux acceptaient-ils de demeurer dans le siècle ? Plus je réfléchissais, plus je m'étonnais. Je conclus qu'en tout cas, je ne les imiterai pas : entre l'infini et la finitude mon choix était fait ». [223]

Le sens de son existence ne peut se trouver lorsqu'elle est petite fille que dans l'accomplissement total de toutes ses potentialités. La petite fille ne sait déjà pas transiger avec le réel et désire trouver un mandat qui utilise toutes ses capacités. Elle donne l'image d'une petite fille alors qu'elle est très jeune. En effet, la petite fille ne semble jamais s'être soumise réellement à ses parents. Si elle joue parfaitement son rôle de petite fille sage et soumise c'est seulement après une mûre réflexion.

Ses parents ne l'ont chargée d'aucune obligation, d'aucun "projet", mais lui ont indiqué une voie qu'elle a suivi de son plein gré semble-t-il : « Moi, j'avais passé du côté des adultes et je présumais que la vérité m'était désormais garantie ».[224] La fillette aurait été indépendante extrêmement jeune, cette situation apparaît comme un leurre, car nous pouvons nous demander comment une enfant aussi jeune aurait pu faire un tel choix.

Le mandat, suivant le sens que Sartre donne à ce mot est "modifié", la petite fille des Mémoires d'une jeune fille rangée se serait inventé son mandat toute seule. D'ailleurs, elle soumet ses parents à son sens critique et se méfie des faux sens qu'ils pourraient donner à sa vie : « Ils me parlaient comme à une grande personne, fière de ma dignité neuve, j'acceptai qu'on eût leurré le bébé que je n'étais plus ; il me parut normal que l'on continuât de mystifier ma petite sœur ».[225]

Elle nous présente de multiples scènes de révolte à l'égard de ses parents. Ainsi découvre-t-elle qu'ils peuvent lui mentir. Preuve en est de la découverte du mensonge au sujet du Père Noël qu'elle fait après avoir beaucoup réfléchi. « Je trouvai incongru que le tout-puissant petit Jésus s'amusât à descendre dans la cheminée comme un vulgaire ramoneur ».[226] Son père et Dieu (puisque ceux-ci sont considérés comme des représentants de l'ordre divin) ne sont plus des "éléments" suffisamment crédibles pour lui indiquer la courbe que sa vie doit prendre. En se heurtant violemment à ses parents, la jeune fille se trouve "condamnée" à chercher le sens qu'elle veut donner à son existence et ce, toute seule. Elle apprend alors la véritable indépendance. Elle choisit de se perfectionner et de perfectionner l'autre. Elle trouve son mandat dans l'enseignement et la vocation religieuse. Elle transmet ses connaissances à des êtres imparfaits. Elle fait la classe à ses poupées, à sa sœur.

Le choix de l'enseignement n'est pas anodin (d'ailleurs celui de religieuse le rejoint puisque la petite fille a été élevée dans un institut catholique : le cours Désir) : il lui permet de continuer à être l'enfant sage qu'elle a toujours été pour plaire à ses parents et de ne pas abdiquer sa liberté. Toutefois ce nouveau mandat est satisfaisant jusqu'à ce qu'elle rencontre Elizabeth Mabille. Sa rencontre avec cette dernière lui fait modifier brutalement son mandat. Elle n'est même plus sûre d'être parfaite, ni "d'être le centre du monde" et par là de pouvoir être une enseignante exemplaire ; en effet Zaza possède beaucoup de qualités qu'elle n'a pas. Cette dernière sait se servir de son corps, faire des pirouettes, grimper aux arbres alors que notre mémorialiste ne pratique aucune activité physique.

Elizabeth est doté d'un caractère original. Elle est ironique, capable de choix intellectuels et prend ses distances à l'égard de la morale enseignée au cours Désir. Simone de Beauvoir tombe alors de sa forteresse intérieure dans l'humilité. Elle est totalement "perdue" vis-à-vis de sa nouvelle amie qui lui révèle qu'elle n'est pas la représentation de l'absolu qu'elle croyait être : les mandats qu'elle s'était assignée jusqu'alors se révèlent insuffisants et la petite fille est désespérée : « C'était bien mon passé qui ressuscitait et pourtant je ne le reconnaissais pas : il avait perdu toutes ses couleurs ».[227]

Elle modifie son mandat : elle doit se perfectionner afin de rester la meilleure amie de Zaza et se montrer digne de la confiance de cette dernière. La première partie des Mémoires d'une jeune fille rangée se conclut sur la découverte d'un nouveau mandat. Cet élément joue un rôle essentiel dans l'organisation de ce premier volume des Mémoires. Il n'en va pas de même pour le second volume comme nous le verrons ultérieurement car le mandat n'a plus la même importance dans la vie de notre mémorialiste lorsqu'elle est adulte. Dans les Mémoires d'une jeune fille rangée la troisième partie se termine également sur la formulation d'un mandat : notre auteur, âgée de vingt et un ans doit réussir son agrégation et aider Zaza qui s'abîme dans le désespoir.

Le choix des différents mandats s'accélère à l'adolescence, la jeune fille renonce à devenir religieuse et à rester célibataire... Elle ne croit plus en Dieu mais lègue tout naturellement les pouvoirs de ce dernier à l'homme qu'elle aime : « chacun trouvait la définitive raison de son existence dans le besoin que l'autre avait de lui ». [228]

Mais les années passant, elle se trouve rejetée par son milieu et tente d'imaginer sa future vie. Elle suppose que celle-ci sera toujours solitaire et s'imagine "vieille fille", professeur sans attache et vivant dans un meublé en province (cf. Mémoires d'une jeune fille rangée, p. 292 et 395). Elle modifie la formulation de son mandat et renonce à l'amour.

Elle décide de devenir une intellectuelle et de consacrer sa vie à ses travaux. Une fois de plus, Simone de Beauvoir semble avoir une vision bien étonnante du bonheur, celui-ci ne peut pas venir des livres, et la littérature est par définition une entreprise solitaire, elle caricature l'intellectuel qui devient une sorte d'ermite coupé de tout lien avec le monde extérieur :

« Ce changement m'amène à considérer l'avenir sous un jour nouveau : "j'aurais une vie heureuse, féconde, glorieuse" me disais-je à quinze ans. Je décidai : "Je me contenterai d'une vie féconde" ».[229]

Tout au long des mémoires, particulièrement des Mémoires d'une jeune fille rangée, le lecteur se trouve confronté aux doutes, aux oscillations, aux variations de notre mémorialiste. Parfois, il faut bien l'avouer, le lecteur est quelque peu désorienté face à cette incroyable succession de mandats que la jeune fille s'impose. De la même façon que notre auteur se présente dans la succession de ses "moi" et que ce dernier est, à chaque fois, le définitif, le dernier mandat est également présenté comme totalement satisfaisant. Chaque choix de la jeune fille ne vaut que pour un moment et peut être modifié l'instant d'après.

Il n'existe pas de norme ou d'autorité qui puisse dicter sa conduite à la jeune fille. C'est en réfléchissant, en se basant sur des données du réel, qu'elle arrive à trouver sa propre hiérarchie des valeurs. Elle défend bien évidemment la thèse de l'existentialisme sartrien. Chaque choix de l'homme ne vaut que pour l'instant présent et peut être modifié : « l'homme se trouve dans la nécessité de se choisir perpétuellement » affirme Sartre dans L'Etre et le Néant. La littérature regroupe les mandats successifs choisis depuis l'enfance.

Grâce à la littérature, Simone de Beauvoir peut enfin réaliser son vieux rêve d'absolu et avoir l'impression de toucher le ciel. Elle a cette "révélation" : la littérature est la consécration suprême de tous les mandats qu'elle s'est assignée, à la lecture du Moulin sur la Floss de George Eliot. En effet, l'héroïne du roman est une figure isolée de sa famille et de la société, et ressemble à Beauvoir adolescente. Les mots semblent être pour la jeune fille un moyen satisfaisant de trouver un sens à son existence. L'œuvre d'art serait un moyen de dépasser le non-sens de son existence car celle-ci se pose comme une réalité finie et suffisante d'elle-même. Le projet d'être lu par des dizaines de personnes remplace l'amour divin : « Elle m'assurerait une immortalité qui compenserait l'éternité perdue ; il n'y avait plus Dieu pour m'aimer mais je brûlerais dans des millions de cœurs... j'acceptais mon incarnation mais je ne voulais pas renoncer à l'universel ». [230]

Elle établit une corrélation étroite entre la lecture et la prière. En lisant, puis en devenant écrivain pour être lue à son tour, elle retrouve la communion des âmes de la prière et peut devenir de nouveau l'égale de Dieu.

Elle aurait découvert à dix-sept ans, que la lecture est un substitut de Dieu, nous citerons les propos de Barthes qui lui a théorisé ce lien qui existe entre la lecture et la prière :

« Ainsi la lecture désirante apparaît, marquée de deux traits fondateurs. En s'enfermant pour lire, en faisant de la lecture un état absolument séparé, clandestin, en quoi le monde s'abolit, le lecteur - le lisant - s'identifie à deux autres sujets humains - à vrai dire bien proches l'un de l'autre - dont l'état requiert également une séparation violente : le sujet amoureux et le sujet mystique. Thérèse d'Avila faisant nommément de la lecture le substitut de l'oraison mentale ; et le rêve amoureux nous le savons est marqué d'un retrait de la réalité ». [231]

Nous pouvons une fois de plus nous questionner au sujet de l'illusion rétrospective, n'est-ce pas le mémorialiste adulte qui trouve des liens entre sa vocation religieuse et sa vocation d'écrivain ?

La jeune fille, par la mise en place de ses mandats retracerait à elle seule les découvertes de plusieurs grands critiques littéraires : son cheminement intellectuel est trop exemplaire pour ne pas être, du moins en partie, artificiel. En décidant de devenir écrivain, la jeune fille se conforme au chemin indiqué par son père ; elle limite l'anxiété de se choisir une voie solitaire. La littérature est, de plus, une excellente façon de former les esprits. L'écrivain est considéré comme un professeur à un degré supérieur puisqu'il fait progresser l'esprit de son lecteur mais cette fois-ci il s'introduit dans l'espace intime de ce dernier. La littérature a une visée didactique pour Beauvoir, ce qui se ressent très nettement dans l'écriture des Mémoires d'une jeune fille rangée et de La force de l'âge. Nous retrouvons ce penchant que la petite fille manifestait à l'égard de ses poupées ou de sa petite sœur. Dans La force des choses, Simone de Beauvoir raconte la genèse du premier volume de son autobiographie. Elle sait déjà quel public va apprécier son œuvre :

« Hier après-midi, j'ai corrigé un énorme paquet d'épreuves envoyées par Festy : pour une fois, un livre que j'ai écrit me fait plaisir à relire. Si je ne me trompe, il devrait avoir du succès auprès des jeunes filles, en mal de famille et de religion et qui n'osent pas encore oser ». [232]

Simone de Beauvoir raconte comment, partant de sa liberté existentielle, elle a réussi à infléchir le sens de sa vie. Elle vit détachée de son milieu, de sa famille, de ses amis pour choisir sa propre voie. Etape par étape, la jeune fille puis la jeune femme fait de nouveaux choix, s'adapte au monde réel. La rencontre avec Sartre est le point d'aboutissement de ses mandats successifs. La jeune femme balaie alors ses doutes, ses soucis pour se donner toute entière à Sartre. Il aurait, semble-t-il, prononcé exactement les mots adéquats qui lui permettraient de conserver la recherche qu'elle accomplissait depuis son enfance : « En tout cas, je devais préserver en moi ce qu'il y avait de plus estimable : mon goût de la liberté, mon amour de la vie, ma curiosité, ma volonté d'écrire ». [233]

Sartre, alors âgé de vingt-trois ans, veut aussi donner un sens à sa vie grâce à la littérature car il ne conçoit pas de mission plus essentielle que celle d'écrire : « L'œuvre d'art, l'œuvre littéraire étaient à ses yeux une fin absolue... Certaines choses devaient être dites pour lui et alors il serait tout entier justifié ».[234] Jean-Paul Sartre est présenté comme l'homme parfait qui cristallise en sa personne tous les mandats dont la jeune fille rêvait. Il lui permet d'envisager une vie à la fois féconde et heureuse.

Notre auteur ne cherche pas un nouveau mandat dans La force de l'âge, car elle sait qu'elle veut être un écrivain : « Notre vérité était ailleurs. Elle s'inscrivait dans l'éternité et l'avenir la révélerait : nous étions des écrivains ».[235] Le problème qui se pose à elle est celui de la réalisation de son mandat. Une fois professeur et l'indépendance financière assurée, la jeune femme s'adonne toute entière au bonheur de vivre. Aussi est-elle submergée par le bonheur d'avoir enfin réalisé un de ses rêves. Le réel la comble. Elle découvre de nouveaux paysages et franchit pour la première fois la frontière française : elle se rend en Espagne, en Italie et visite presque toute la France. Elle nous raconte avec précision les lieux, les paysages, les monuments qui l'entourent... Le lecteur est lui aussi submergée par cette profusion du réel car la jeune femme ne laisse aucun détail lui échapper et donne à son lecteur le maximum de précision que possible. Nous apprenons les détails sur la vie madrilène du début des années trente : nous avons l'impression de fréquenter à ses côtés les petits restaurants, les cafés de la capitale espagnole. Elle nous donne des indications sur la vie culinaire en Espagne et sur les goûts alimentaires des Espagnols :

« Selon Duhamel, les mystères de Berlin se résumaient dans l'odeur qui flottait dans ses rues qui ne ressemblait à aucune autre ; boire un chocolat espagnol, c'est tenir dans sa bouche toute l'Espagne disait Gide dans Prétextes ; chaque jour je me contraignais à avaler des tasses d'une sauce noire, lourdement chargée de cannelle, je mangeais des pavés de torón et des pâtes de viny, et aussi des gâteaux qui s'effritaient entre mes dents avec un goût de vieille poussière ».[236]

Elle nous décrit aussi minutieusement qu'il est possible de le faire les paysages, les cités célèbres ou bien encore les mœurs de l'Italie et de la France. Elle rencontre également beaucoup de nouvelles personnes alors que durant toute son enfance et son adolescence, Beauvoir s'était sentie rejetée, isolée, une fois devenue professeur et surtout avec la rencontre de Sartre, elle est sollicitée de tous côtés. Elle est appréciée pour son extraordinaire indépendance et son intelligence :

« Quand je rencontrais des gens nouveaux et attrayants, je nouais avec eux d'agréables relations mais ils ne m'entamaient pas. Un phénix chargé de toutes les grâce n'eût pas réussi par sa seule séduction à troubler mon indifférence ».

Aussi croit-elle être capable de juger les gens avec le plus d'objectivité que possible, et s'amuse à nous dresser leurs portraits. Nous pouvons nous interroger sur sa conception des relations humaines car elle considère les hommes de la même façon qu'un observateur attentif décrit un paysage ou un lieu touristique. Elle décrit ses relations de façon "empirique" : elle nous donne des indications sur leur physique, puis leur comportement ou encore sur leurs goûts.

Elle dresse le portrait suivant de Marco, un ami de Sartre qui prépare l'agrégation de lettres :

« Il s'appelait Marco ; Sartre l'avait connu à la Cité universitaire où il préparait l'agrégation de lettres ; il était natif de Bône et d'une beauté assez extraordinaire : brun, le teint ambré, les yeux brûlants, son visage évoquait à la fois les statues grecques et les tableaux du Gréco. Ce qu'il y avait en lui de plus exceptionnel c'était sa voix qu'il cultivait avec une assiduité fanatique ». [237]

Cette multitude de détails donne le vertige au lecteur qui perd souvent ses repères au long de sa lecture de La force de l'âge. Simone de Beauvoir fait se refléter dans l'écriture le sentiment d'envahissement qu'elle a connu : submergée par le bonheur de vivre, elle ne parvient pas à réaliser son mandat d'écrivain lors de ses premières années de liberté. Elle ne parvient pas à se détacher du monde et à prendre le recul nécessaire à l'écriture : « Faire une œuvre c’est en tout cas donner à voir le monde : moi, sa présente brute m'écrasait et je n'en voyait rien : je n'avais rien à montrer ».[238]

Notre auteur fait tant de découvertes lors de ses premières années d'indépendance qu'elle ne se reconnaît plus. Il lui semble ne plus avoir de volonté, elle qui en avait tant lorsqu'elle était étudiante à la Sorbonne : « J'appris pendant ces dix-huit mois qu'on peut ne pas vouloir ce qu'on veut et quel malaise engendre cette irrésolution ».[239]

Elle devient inquiète et doute d'elle-même. Elle connaît une période de dépression, ce type d'épisode se reproduira à de multiples reprises tout au long de sa vie, à chaque fois qu'elle se reproche la trop grande facilité de celle-ci.

Elle prend garde, du moins, d'occuper frénétiquement chaque moment de sa vie au moyen d'emplois du temps qu'elle a minutieusement élaborés. Elle sauve alors de l'ennui son année de professorat à Marseille. En fait, la jeune femme ne perd jamais conscience de sa volonté de donner un sens à sa vie. Dans ses moments de doute ou de tristesse, elle "conserve" chaque instant de la réalité et veut l'examiner dans toute sa splendeur, en se souvenant de sa grave maladie du poumon. Son optimisme allié à sa volonté de "récupérer" chaque moment de sa vie donne à cette femme une force incroyable.

Les livres qu'elle aime par dessus tout et qu'elle cite dans ce second volume de ses mémoires sont précisément ceux qui décrivent la douceur de vivre, privilégiant le détail jusque dans le quotidien. Simone de Beauvoir refuse de ne pas vivre avec ardeur. La petite fille était devenue à l'adolescence une travailleuse acharnée, par décret, elle devient une amoureuse du réel et une observatrice forcenée également par volonté. Elle s'impose d'observer le monde qui l'entoure et de l'apprécier même lorsque l'envie pourrait lui en manquer. Elle ressemble alors à la fillette qui, passant ses vacances à Meyrignac, avait décidé d'explorer le monde. Elle met l'observation du monde sur le plan de la nécessité. Aussi se laisse-t-elle envahir par le monde quotidien sans pouvoir tirer de lui un enseignement. Sa quête pendant ses premières années d'indépendance est désordonnée, elle profite de la vie et du bonheur qu'elle en tire au jour le jour. Cette ardeur de vivre se reflète dans l'écriture puisque le texte de La force de l'âge n'est pas structuré. Les phrases sont construites en asyndète et aucune structure ne semble avoir été choisie pour l'ouvrage. Notre auteur mêle tout au long des chapitres les événements politiques, les portraits de personnes qu'elle rencontre et les relations qu'elle entretient avec ces dernières. Elle écrit La force de l'âge pour donner un ordre à son récit mais elle ne semble pas capable de mener son entreprise jusqu'au bout puisque le désordre de sa vie se reflète encore dans l'écriture. Elle est éblouie et submergée par la multitude des découvertes qu'elle fait. En fait, elle remarque qu'elle n'a pu écrire son premier roman L'Invitée qu'après l'expérience désarmante du trio. Sa vie commune avec Olga et Sartre l'a arrachée au bonheur et lui a fait prendre conscience que son union avec Sartre n'était pas aussi parfaite qu'elle le croyait. De plus, Olga relativise sa position de "centre" de l'univers. Simone de Beauvoir croyait posséder la vérité dans tous les domaines mais la jeune Olga l'éblouit par son dynamisme et son ardeur à vivre. Notre auteur fut alors contrainte de relativiser sa position et d'être plus modestes.

C'est lorsque la vie devient moins heureuse qu'elle retrouve la tristesse qu'elle avait connu lors de son adolescence c'est-à-dire comme le remarque Toil Moil dans son ouvrage Simone de Beauvoir, une « détresse affective profonde » liée à la peur de la solitude que notre auteur se sentit capable de réaliser sa vocation d'écrivain : « la littérature apparaît lorsque quelque chose dans la vie se dérègle pour écrire - Blanchot l'a bien montré dans le paradoxe d'Aytré - la première condition c'est que la réalité cesse d'aller de soi ; alors seulement on est capable de la voir et de la donner à voir. ». [240] Le monde réel, sans que la jeune femme ne s'en doute l'a enrichie, a multiplié ses expériences. Elle peut devenir écrivain et concrétiser cette vocation qui n'avait été qu'un vain rêve lorsqu'elle était enfant. Avec l'illusion rétrospective notre auteur constate : « Tirer du néant et de soi-même un premier livre qui, vaille que vaille, tienne debout je savais que cette entreprise, à moins de chances exceptionnelles, exige énormément d'essais et de temps ».

Les voyages, les rencontres qui lui ont apporté tant de joie n'ont pas été inutiles.

La jeune femme se sert de toutes ses expériences lorsqu'elle écrit son premier roman L'Invitée en 1941. La jeune femme considérait sa vie comme bien plus essentielle que la littérature et elle désirait surtout s'épanouir et s'amuser : « faire de ma vie une expérience exemplaire où se refléterait le monde tout entier ». [241]

Elle débute l'ouvrage par sa volonté d'écrire et son bonheur de vivre puis nous raconte en les juxtaposant de longues périodes de sa vie. Elle multiplie entre 1929 (l'année de sa réussite à l'agrégation) et 1941 (l'année de publication de L'Invitée), les tentatives ratées d'écriture et sa longue narration est interrompue par les efforts désespérés qu'elle accomplit pour concrétiser sa vocation. Notre mémorialiste "tâtonne" dans son existence et le sens lui en échappe. En fait, celui-ci ressurgit lorsqu'elle commence à écrire. Simone de Beauvoir ne synthétise pas dans ce second volume des mémoires, l'orientation que prendront ces découvertes et le lecteur cherche en même temps qu'elles le sens de son existence et la façon dont sa vocation va bien pouvoir s'incarner.

Le lecteur parcourt sa vie avec elle, assiste à ses moments de peine ou d'exaltation puis il est le témoin de la naissance de l'écrivain. La quête du sens se reflète dans l'écriture qui est, elle aussi, en perpétuel devenir. Les deux premiers volumes de ses mémoires sont effectivement bien construits sur le modèle du Bildungsroman puisque le lecteur après avoir assisté dans les Mémoires d'une jeune fille rangée à la naissance d'une vocation est le témoin dans La force de l'âge de l'incarnation de cette vocation. Les mémoires ne trouvent leur signification qu'à partir du dernier volume car si Simone de Beauvoir se penche sur son passé, elle reste fidèle aux théories existentialistes ; un être libre ne peut pas se rattacher à son passé et à un sens déjà préétabli mais doit sans cesse chercher le sens qu'il veut donner à son existence. Dans Tout compte fait, dernier volume de son entreprise autobiographique publiée en 1972, notre auteur réalise que le sens de sa vie ne peut plus se modifier car elle est à présent trop âgée pour changer la tournure de son existence. Elle sait que sa vie même au cours des périodes d'oisiveté avait un sens. Elle rattache celui-ci non pas à une vocation bien précise, comme elle l'avait cru jusqu'à présent mais à un mandat beaucoup plus vaste qui n'est après tout que celui de tout intellectuel : « Savoir et exprimer, il s'est ramifié en des projets secondaires, en de multiples attitudes, à l'égard du monde et des gens ».[242]

Elle élargit un projet original non plus à un mandat précis mais à un mandat plus modeste pourrait-on dire. Son projet, exprimé dans Tout compte fait ne porte plus la marque de cet égocentrisme qui semblait sans limite. Simone de Beauvoir s'inspire une fois de plus du Bildungsroman qui montre la formation du héros et le lecteur assiste à l'incarnation de sa vocation. L'utilisation du réel se concrétise non pas tant dans ses romans que dans ses mémoires. Nous nous situons dans un procédé de mise en abîme puisque notre auteur explique comment après avoir vécu avec le plus d'ardeur possible, elle a réussi à écrire ses romans.

Mais cette transposition du réel, est bien sûr, beaucoup plus frappante dans ses mémoires puisque tel est leur but avoué. Simone de Beauvoir explique la concrétisation de sa vocation d'écrivain et ce, dans un des ouvrages marquant de sa carrière. Le sens de sa vie n'est jamais donné d'avance mais doit sans cesse se reconquérir, c'est ce qu'affirme Beauvoir dans Pour une morale de l'ambiguïté :

« Déclarer l'existence absurde c'est nier qu'elle puisse se donner un sens, dire qu'elle est ambiguë c'est poser que le sens n'en est jamais fixé, qu'il doit sans cesse se reconquérir ».

L'homme est libre et sa vie est une aventure. Mais si notre auteur a mis tellement de temps avant de réaliser sa vocation, sans doute est-ce à cause de ses difficiles relation avec autrui. Pour écrire, il lui a fallu trouver la place qu'elle devait occuper face à "l'autre". Or, Simone de Beauvoir a toujours eu de graves difficultés pour établir des liens avec autrui, sans sombrer dans l'orgueil ou l'humilité. L'écriture des mémoires reflète sa quête pour tenter de comprendre et d'accepter autrui.

 

 

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[202] Mémoires d'une jeune fille rangée, p. 145. - 84

[203] Tout compte fait, p. 14.

[204] La force de l'âge, p. 22.

[205] Mémoires d'une jeune fille rangée, p. 209.

[206] Mémoires d'une jeune fille rangée, p. 203.

[207] Mémoires d'une jeune fille rangée, p. 396.

[208] Mémoires d'une jeune fille rangée, p. 145.

[209] Mémoires d'une jeune fille rangée, p. 369.

[210] Tout compte fait, p. 21.

[211] Mémoires d'une jeune fille rangée, p. 234.

[212] Mémoires d'une jeune fille rangée, p. 450.

[213] Mémoires d'une jeune fille rangée, p. 301.

[214] La force de l'âge, p. 73.

[215] Mémoires d'une jeune fille rangée, p. 324.

[216] Lettre à Nelson Algren du 8 août 1948.

[217] Mémoires d'une jeune fille rangée, p. 44.

[218] Mémoires d'une jeune fille rangée, p. 44.

[219] Mémoires d'une jeune fille rangée, p. 38.

[220] Mémoires d'une jeune fille rangée, p. 34.

[221] Mémoires d'une jeune fille rangée, p. 72.

[222] Mémoires d'une jeune fille rangée, p. 79.

[223] Mémoires d'une jeune fille rangée, p. 79.

[224] Mémoires d'une jeune fille rangée, p. 30.

[225] Mémoires d'une jeune fille rangée, p. 30.

[226] Mémoires d'une jeune fille rangée, p. 29.

[227] Mémoires d'une jeune fille rangée, p. 130.

[228] Mémoires d'une jeune fille rangée, p. 198.

[229] Mémoires d'une jeune fille rangée, p. 272.

[230] Mémoires d'une jeune fille rangée, p. 197.

[231] Mémoires d'une jeune fille rangée, p. 43.

[232] La force des choses, p. 285, vol. II.

[233] Mémoires d'une jeune fille rangée, p. 174.

[234] Mémoires d'une jeune fille rangée, p. .

[235] La force de l'âge, p. 27.

[236] La force de l'âge, p. 98.

[237] La force de l'âge, p. 158.

[238] La force de l'âge, p. 76.

[239] La force de l'âge, p. 73.

[240] La force de l'âge, p. 416.

[241] La force de l'âge, p. 37.

[242] Tout compte fait, p. 21.