Réussir l’Europe sociale et l’Europe de la croissance

La construction européenne a connu de nombreuses avancées. Mais l’Europe sociale, elle, a piétiné, créant un déséquilibre dangereux, tant pour le modèle de société auquel nous sommes attachés que pour la poursuite de la construction européenne proprement dite.

L’année 1997 doit servir à faire resurgir la question sociale en Europe. La fermeture brutale de l’usine Renault de Vilvorde a, involontairement, permis une prise de conscience de ce qui reste à faire. La manifestation de protestation, à Bruxelles, mettait en lumière l’insuffisance des mécanismes de concertation des partenaires sociaux à ce niveau, et l’émergence d’un syndicalisme et d’une citoyenneté au niveau européen, perceptible par tous. Mais beaucoup reste à faire…

Le Parti socialiste est fortement attaché à la construction européenne, mais celle-ci ne doit pas être l’instrument qui nous impose une politique monétariste et libérale. Aucune de ces préoccupations ne doit occulter l’autre. C’est sur cette base que nous avons critiqué le pacte de stabilité monétaire conclu fin 1996, le gouvernement français d’alors se désintéressant de la question. Ce pacte oblige notamment les pays signataires à rester en dessous de 3 % de déficit budgétaire, ce qui rend plus difficile une relance de l’activité économique par la consommation dans une période où la demande fait défaut.

À peine arrivé au pouvoir, le gouvernement a dû faire des choix difficiles lors du sommet d’Amsterdam. Une remise en cause du pacte de stabilité par la France seule, après l’avoir signé en 1996 n’aurait abouti qu’à bloquer le processus de création de l’Euro (offrant ainsi les monnaies européennes concurrentes en pâture aux marchés) et à isoler la France. Lionel Jospin ne l’a pas fait, obtenant par contre que pour la première fois, l’Union européenne investisse des moyens dans une politique de l’emploi marquant ainsi un point dans les faits et dans les esprits. L’essai sera transformé lors d’une deuxième étape, cet automne, au sommet de Luxembourg, où l’action en faveur de l’emploi sera pour la première fois à l’ordre du jour.

La construction européenne a, en quelques jours, commencé à être réorientée. Cet effort devra être poursuivi lors des prochains sommets. Mais pour modifier le cours des choses, la France ne peut agir brusquement et seule : prétendre que nous avons vocation à changer seuls le cours des choses, en projetant simplement sur l’Europe notre culture colbertiste et jacobine, ne servirait qu’à rappeler à nos voisins combien ils nous trouvent parfois arrogants ; une crise déclenchée dans ces conditions n’aurait pas été très productive. Nos camarades participent, certes, au gouvernement dans douze pays de l’Union, mais même entre socialistes, les conceptions peuvent différer. Non parce que certains seraient plus socialistes que d’autres, cette caricature serait injuste, mais parce que les cultures et l’histoire ont forgé des sensibilités diverses. S’il faut parfois dépasser ces différences, rien ne serait pire que de les ignorer.

La mémoire collective des Allemands, par exemple, reste marquée par la formidable dévaluation du mark dans les années vingt, avec la suite que l’on connaît. Par opposition, la santé du deutsche mark d’après-guerre va de pair avec la force économique de la RFA. L’idée de faire l’Euro avec des déficits budgétaires plus importants que prévu est donc très impopulaire en Allemagne, même à gauche.

Tous ceux qui souhaitent un progrès de l’Europe sociale, et parmi eux le nouveau gouvernement français, vont avoir de nombreux combats à mener ces prochains mois : faire vivre le dialogue social à l’échelle européenne (avec par exemple la mise en place des comités de groupe européens), entrée de l’Italie dans l’Euro, mise en œuvre d’une politique de croissance et d’investissement (rendue plus difficile au niveau national non seulement par le pacte de stabilité mais aussi par l’interdépendance de nos économies) et, plus généralement, refus d'une politique monétariste et libérale. Ce combat ne fait que commencer, et il est essentiel.

 

Gilles Vollant