La convention " mondialisation " a été
l'occasion de renouveler notre réflexion sur la construction
européenne. Un regret cependant : le débat est resté
franco-français. Nous n'avons en effet ni l'habitude ni le cadre
adapté à un débat commun avec l'ensemble de nos camarades
européens. Pourquoi ne pas organiser une convention socialiste
européenne, permettant aux militants des différents partis de
débattre sur des mêmes textes ? Cette confrontation
permettrait de renforcer les sentiments de communauté, de mieux
connaître les similitudes et les différences de cultures
politiques, et limiterait, par exemple, la tentation de vouloir
imposer à l'ensemble de l'Europe certaines conceptions
typiquement françaises. Nous pouvons également proposer, dans
la même logique, l'élection d'au moins une partie des députés
européens dans une circonscription unique.
La convention " démocratie " sera, entre
autres, consacrée à notre vision des institutions. Il est fort
intéressant de comparer la situation française avec celle de
nos voisins. Chez tous nos partenaires de l'Union européenne, le
système est clairement parlementaire. La seule élection
déterminant le gouvernement est l'élection législative. Le
principal dirigeant du parti ayant gagné ces élections est
quasiment automatiquement chef du gouvernement et ne peut être
destitué tant qu'il a la confiance du Parlement. La politique
étrangère et la défense sont du domaine du gouvernement. Le
chef de l'État, qu'il soit monarque, président élu par le
Parlement ou même au suffrage universel direct a un rôle
d'arbitrage en cas de crise. Il est détaché des partis
politiques mais n'interfère pas dans les choix gouvernementaux.
Enfin la logique institutionnelle et son efficacité ne sont en
rien dépendantes de la proximité politique du chef de l'État
et du gouvernement.
En France, ces choses sont beaucoup plus complexes. Nous
avons deux élections nationales déterminantes : la
présidentielle et la législative. Le président de la
République choisit le Premier ministre selon son bon plaisir (il
a plusieurs fois, dans l'histoire de la Ve République,
nommé un homme politique de second plan) et celui-ci reste
jusqu'à ce que le président lui retire sa confiance. La
politique étrangère et la défense sont plutôt du ressort du
président (le " domaine réservé "),
l'économie et le social du gouvernement. Le président de la
République est théoriquement indépendant des partis, mais est
le porte-drapeau de celui dont il est issu (et interfère dans la
vie de celui-ci). Enfin, son rôle est à géométrie
variable : en période dite de
" cohabitation ", l'équilibre des pouvoirs
est modifié et ressemble plus à un système parlementaire, et
suivant le calendrier électoral, un gouvernement dispose d'une
durée variable avant élection (parfois cinq ans, parfois deux
ou trois).
Ces institutions hybrides présentent de nombreux
inconvénients. Le poids de la présidence personnalise à
l'excès la vie politique. Le rapport entre le président et le
parti dont il est issu est malsain : au-dessus des partis,
le chef de l'État n'a aucun compte à lui rendre ; par
contre, il a tendance à être pour lui un point de référence
situé au-dessus de tout débat. Ainsi, que ce soit pour les
orientations politiques ou le choix des dirigeants, le parti
présidentiel est sous une certaine forme de tutelle de
l'Élysée. Le fonctionnement du couple président-Premier
ministre est aussi critiquable : hors
" cohabitation ", le Premier ministre est en
sursis permanent : il joue le rôle de
" fusible ", permettant au chef de l'État de
ne pas assumer directement, vis-à-vis de l'opinion, les
conséquences de ses choix politiques, et son remplacement permet
à celui-ci de donner l'illusion d'une sorte d'alternance interne
à sa majorité. On aboutit à ce paradoxe : la durée de
vie des gouvernements et de leur chef est en France plus courte
que chez nos partenaires européens, Italie mis à part (cela
montre qu'un passage au système parlementaire, si on ne le
combine pas à un mode de scrutin proportionnel intégral, ne
risque pas de rendre les gouvernements plus instables). Si la
période de " cohabitation " a le mérite de
nous rapprocher d'un système parlementaire, elle donne
l'impression d'une moins bonne efficacité que la période
" normale " (impression largement
injustifiée : les deux gouvernements de droite de ces
périodes ont eu tout le loisir d'appliquer leur programme
économique et social). Elle entraîne une certaine confusion
dans l'esprit des citoyens (d'où le stupide slogan sur les
" 14 ans de socialisme "), et sur les sujets concernés
par le " domaine réservé " (notion dangereuse, car
elle tend à accréditer l'idée que la politique étrangère et
la politique de défense ne doivent pas être objet de débat
entre partis), rend un consensus obligatoire entre le président
et le premier ministre.
Nous n'aurons probablement pas, dans l'immédiat, les moyens d'imposer un changement radical de constitution, mais nous pouvons déjà en infléchir la lecture. Elle n'est en effet pas aussi présidentielle que la lecture qui en est souvent faite. Sans rentrer ici dans les détails juridiques, remarquons simplement qu'elle n'offre pas au président la possibilité de démettre un gouvernement qui a la confiance de l'Assemblée et que le " domaine réservé " ne fut inventé que plusieurs années après 1958. Remarquons également les exemples du Portugal et de l'Autriche qui ont une pratique parlementaire, avec un texte très proche et un président élu au suffrage universel. Si nous gagnons les élections législatives de 1998, nous ne devons pas considérer que le gouvernement de gauche sera un gouvernement de transition avec des moyens d'actions limités (comme certains discours de droite le laissaient penser en leurs temps), mais qu'il aura vocation à accomplir pleinement sa tâche pendant cinq ans, en s'appuyant sur sa majorité parlementaire et dirigé par un Premier ministre que cette dernière aura choisi.
Gilles Vollant