Le premier grand débat que nous engageons cette année concerne la mondialisation. Si le thème est particulièrement d'actualité, il n'est pas nouveau. À la fin du XIXe siècle et au début du XXe, les partis socialistes (alors principalement européens) étaient fortement structurés autour de l'Internationale, lieu non seulement de débat mais aussi de prise de décisions. Il était même prévu d'agir de façon concertée afin d'empêcher la grande guerre vers laquelle les nationalismes conduisaient l'Europe. En s'organisant internationalement les socialistes et les pacifistes souhaitaient se renforcer face à leurs adversaires.
Aujourd'hui, l'élaboration d'un programme de gouvernement
socialiste est devenue très délicate, à cause des
" contraintes extérieures " : les vieux
États-nations ont de moins en moins de prise sur une économie
qui fonctionne sur une plus large échelle. Deux attitudes
risquent de se développer : un certain fatalisme,
constatant la " complexité " induite par la
mondialisation, ou une tendance au repli sur la nation. La
première annihile tout espoir, ce qui est dangereux non
seulement pour la gauche mais aussi pour la démocratie. La
deuxième trouve malheureusement écho dans certains partis qui
se réclament de la gauche (derrière la condamnation incessante
du traité de Maastricht), et est à la fois irréaliste et
contraire à notre philosophie. Irréaliste, car il est
désormais impossible de restreindre un projet politique au seul
niveau national, et contraire à notre philosophie, car
l'exigence de solidarité et la vision de la société portée
par les socialistes sont, par essence, internationalistes.
L'Europe est la première marche de la mondialisation ; nous devons donc accorder toute notre attention à sa construction. Les règles de la construction communautaire sont trop souvent marquées du sceau du libéralisme. L'affaiblissement des États-nations, s'ils ne sont pas remplacés dans leurs rôles régulateurs, serait une régression pour nos sociétés. Nous ne devons pas nous laisser enfermer dans un dilemme Europe contre acquis sociaux, tout en étant bien conscients qu'un recul sur l'objectif de la monnaie unique risque d'affaiblir sérieusement la dynamique de la construction européenne. Nous nous sortirons de cette problématique en adoptant une attitude offensive et en faisant des propositions reflétant nos conceptions.
Le sentiment de communauté, qui permet à chaque citoyen de se sentir, quelque part, partie prenante des décisions des États, n'existe pas encore au niveau européen. La répartition des responsabilités politiques dans les instances européennes actuelles est illisible, car les conseils des ministres réunissent des gouvernements qui défendent les intérêts de leur nation, sans différentiation claire entre droite et gauche, les (trop rares) votes importants au Parlement sont souvent pris par consensus entre socialistes et démocrates-chrétiens, ou sans discipline au sein du groupe socialiste. La commission, par son mode de fonctionnement et de désignation (qui ne tient pas compte des situations politiques au niveau de l'Union), se situe à mi-chemin entre une structure politique et administrative. Ainsi, les citoyens européens, lorsqu'ils souhaitent exprimer leur désaccord avec les décisions communautaires, ne se tournent pas vers les forces politiques d'opposition (comme dans les cadres nationaux), mais vers un rejet des institutions européennes. Nous devons revendiquer la création d'une autorité politiquement responsable et clairement identifiée, et celle d'un mécanisme de démocratie parlementaire au niveau européen.
La construction européenne peut nous permettre de retrouver
des marges de manuvre plus grandes. Il n'y a pas dans
l'histoire d'autre exemple de mise en commun pacifique de leur
souveraineté par de vieilles nations, c'est un processus
original qui peut servir d'exemple dans d'autres régions du
monde. La forte contribution que la France y a apporté ces
dernières années restera l'un des grands acquis de notre
passage au pouvoir.
Le débat sur la mondialisation ne doit, bien sûr, pas se limiter à l'Europe. Nous devons, au contraire, être pleinement conscient de nos responsabilités sur la scène internationale.
Les choix politiques guidant les relations extérieures sont trop souvent absents du débat politique.
La doctrine classique concernant les institutions de la Ve République
l'illustre parfaitement : la politique étrangère et la
défense constituent le " domaine réservé "
du président de la République, qui le gère
" au-dessus des partis ". Si cette notion est
très contestable, à la fois par rapport au texte de la
Constitution et sur le principe, elle a profondément marqué les
esprits. Parallèlement, la politique étrangère que nous avons
suivie s'est trop coulée dans la vision géopolitique
traditionnelle du Quai d'Orsay en gommant souvent le message que
nous devons porter. Les références - à une certaine
époque - à l'amitié traditionnelle franco-serbe, et le
soutien à certains régimes africains dictatoriaux pour, avant
tout, limiter l'influence anglo-saxonne en ont été
malheureusement l'illustration.
Nous devons participer, lorsque cela est nécessaire, aux opérations humanitaires. Mais celles-ci ne doivent pas permettre aux États d'échapper à leurs responsabilités, qui vont bien au-delà. Se contenter d'interventions humanitaires là où l'on devrait trouver des solutions politiques revient à substituer la charité à la justice.
Les démocraties sont condamnées à établir des contacts
avec l'ensemble des pays de la planète, mais doivent s'interdire
toute complaisance. Il faut éviter tout personnalisation des
rapports avec les régimes autoritaires, et garder une distance
avec leurs responsables. À ce sujet, la politique africaine
suivie pendant la présidence de François Mitterrand a été
marquée par des dérives, s'inscrivant dans la tradition de la Ve République.
Inspirons-nous plutôt du passage de Jean-Pierre Cot au
ministère de la Coopération en 1981, et de la volonté de
démocratisation affirmée dans le discours du sommet
franco-africain de La Baule en 1991.
En période de crise, la tentation du protectionnisme est
forte, même à gauche. L'allégement réciproque des frontières
commerciales entre pays à conditions économiques et sociales
comparables, est un facteur de croissance, mais l'institution de
mécanismes de régulations des échanges est alors
indispensable. L'idée, développée lors de la campagne de
Lionel Jospin, de proposer une taxation de un pour mille des
mouvements de capitaux va dans ce sens. Nous pouvons également
imaginer de fixer des critères sociaux pour accepter des
importations, même s'ils doivent être utilisés avec
précaution : nous ne devons ni cautionner la fabrication de
marchandises dans des conditions inacceptables, ni en prendre
prétexte pour empêcher le développement des pays du
tiers-monde, s'il s'agit de protéger notre commerce extérieur.
Au contraire, nous devons de nouveau porter une exigence de
solidarité Nord-Sud, en reprenant l'esprit du discours de
Cancún de François Mitterrand.
Le Parti socialiste, en France, s'est longtemps appelé
Section française de l'internationale ouvrière. Indépendamment
des épisodes historiques auquel il est attaché, ce nom avait un
mérite : il illustrait la nature profondément
internationaliste du message et du mouvement socialiste. Il n'est
pas possible de limiter notre volonté de vivre dans une
société solidaire au seul cadre national ou européen. Nous
devons au contraire avoir toujours la vision la plus large
possible, même si notre terrain d'action est plus restreint.
Rappelons nous que nous ne sommes pas seulement membres du Parti
socialiste français, mais aussi du Parti socialiste européen et
de l'Internationale socialiste.
Gilles Vollant
section de Mennecy,
(membre du Bureau fédéral)